mardi 13 septembre 2005

La justice est faite pour les délinquants, forcément

"La justice est faite pour les délinquants" Nadia Uzan

Coupables victimes.

Essai sur le fonctionnement de la justice.Il est, bien sûr, pénible d’être agressé ou harcelé. Mais la suite aussi l'est. D'abord, le fait de porter plainte, c'est à dire d'"être entendu" —ou plus exactement de se faire, si possible, "entendre"— constitue en soi une épreuve : dévoiler devant des "étrangers", fussent-ils des professionnels, de l'intime —et être agressé atteint toujours l'être profond— renforce le traumatisme, générant honte et culpabilité : dois-je ainsi me livrer publiquement ? Ai-je le droit de mobiliser pour moi des instances surchargées ? C’est la question en filigrane, omniprésente, lorsqu'on "parle"... —Le mot même "parler" lui-même est connoté.— Et puis il faut —cela est normal— subir un contre interrogatoire, fournir des preuves, des certificats. Le traumatisme s'accroît encore —mais là, il est inévitable. — C’est à ce moment que parfois la victime lâche prise: montrer son corps, surtout abîmé, est un geste pénible au delà de toute expression. D'autre part, les professionnels, parfois blasés, surchargés ou pressés —voire mal formés— peuvent se montrer maladroits: une victime de harcèlement se voit par exemple confrontée seule et à brûle pourpoint… à son agresseur qui plastronne et se moque d'elle en termes obscènes... devant trois gendarmes le laissant s'épancher sans bouger. C'est finalement elle qui doit sortir : elle entendra longtemps résonner le rire son agresseur qui la traite de folle hystérique. Cela se voit de moins en moins, certes, mais encore... Car le coupable, lui, n'est pas blessé et n’a rien à dire, si ce n'est de nier, parfois en dépit de toute vraisemblance. Et le copinage masculin, parfois, n’est pas un vain mot. La victime sort de toutes manières de ces "confrontations" avec un sentiment de malaise prégnant: car l'agresseur est souvent un habitué tandis qu’elle, néophyte, est fragilisée par l'agression, et cela fait toute la différence.... Incontestablement, la violence libère! Et la subir détruit.Ensuite, c'est toute la machine judiciaire qui se met en branle —au cas où l'affaire n'a pas été classée pour insuffisance de preuves. Car elle peut l'être, évidemment. Il se peut aussi que certains éléments de la plainte déposée, les plus graves, n'arrivent pas jusqu'au Procureur...— Et enfin, six mois, un an ? après, c'est le "procès", c'est à dire la rencontre incontournable avec le harceleur-agresseur qu'elle avait réussi à oublier. Et les souvenirs.Kafka ? En un sens.

 
Elle se trouve alors dans une salle en une compagnie qu'elle n'identifie pas sur le coup... et dont il s'avère petit à petit que beaucoup sont des "mis en cause" — souvent très décontractés— un équipage confraternel en somme; cela frise le sketch lorsque l'un d'entre eux, dans le couloir, l'interroge en collègue sur "son affaire". Eux ont des avocats, les victimes, en principe, non. Du reste, on peut identifier les prévenus des plaignants à leur attitude : ils vont et viennent, parlent à leurs conseils, devisent parfois à voix assez haute… alors que les autres, tendus, tels des invités non grata dans une assemblée familiale se crispent de plus en plus au fur et à mesure. Cela aussi fait toute la différence. Le temps passe, elle ignore toujours quand elle «passera», il se peut qu’elle proteste, ce qui ne la rend pas sympathique. Lorsqu’enfin arrive son «tour», elle a bel et bien perdu ses moyens : la vision réitérée de celui qu’elle avait rayé de son souvenir, la mémoire des événements traumatiques du passé qui resurgissent en flash obligatoires, l’agacement devant les autres cas qui se sont succédés sans arrêt, l’attente, elle est à point, c'est-à-dire à bout. Le prévenu qui, au contraire, a passé tout ce temps à soigner sa copie avec un avocat, fut-il improvisé, est fin prêt. Et il faut reprendre, re expliquer, se livrer encore, l’écoute semble inconstante, du moins le croit-elle, c’est la dernière affaire et il est plus de midi, le prévenu se dérobe et ment effronton, elle ne sait si elle peut ou non répondre et en quels termes, elle le tente, cela passe — ou ne passe pas, elle ne sait plus — et pour finir… elle a oublié l’essentiel —des insultes antisémites de la part de l’agresseur— et il est trop tard pour le souligner… l’avocat général certes a bel et bien démasqué un des mensonges les plus criants de l’accusé, mais en revanche, il a suspendu son jugement quant aux coups qui «ne sont pas avérés» et celui du harceleur entonne une belle plaidoirie sur la passion amoureuse etc... Là, c’est trop… Jugement immédiat : six mois avec sursis, peine confirmée. Elle sort de la salle tétanisée mais a le temps d’entendre son agresseur, sans gêne aucune, lui donner rendez-vous à Marseille sous peu… Dès qu’il aura purgé sa peine. Un livre remarquable, à lire absolument?