vendredi 13 août 2004

Haine de la philosophie ou le syndrome de Stockholm

"Haine de la philosophie et syndrome de Stockholm " par Viridiana

La Haine De La Philosophie et Le Syndrome De Stockholm

Auteurs : Hélène Larrivé
Extrait par: Helene Larrive / 600 / 31 mai 2006
Type d’extrait:Extrait
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Pourquoi la philosophie —et dans une moindre mesure la littérature— suscitent-elles une tel mépris ou une agressivité aussi intense chez certains, dans ce qu’il est convenu d’appeler le sens commun ? Parce que les mots sont eux-mêmes violents. La pensée qui cherche sans préjugés découvre parfois… et surtout dit, dévoile, dénonce… et blesse… à la fois ceux qui se nourrissent des préjugés et souvent également leurs victimes. Le bourreau et la proie. La recherche même est péjorée, brocardée, du moins par ceux qui la redoutent par avance ; car chercher, c’est toujours possiblement trouver. C’est la clef de la violence contre la philosophie. Cela, on le sait certes en politique : les systèmes totalitaires ont toujours voué aux gémonies la philosophie en premier lieu. Mais on le sait moins dans la vie quotidienne, et il s’agit cependant de la racine du politique. Les traumatismes infligés sont violents. Pointer les dogmes — ou du moins des nommer seulement comme tels — qu’ils soient ceux, triviaux, de la vie quotidienne qui tous pourtant font une ou des victimes — on appelle cela racontars, ragots— ou ceux du politique — qui, eux, en font beaucoup, depuis la simple exclusion d’un groupe jusqu’à la shoah pure et simple — est perçu comme une détestable ingérence, celle de la vérité ou seulement du doute dans l’idéologie installée.


C’est bel et bien une violence, une violence qui certes s’oppose à une autre, mais qui n’en est pas moins une. Non que la philosophie soit en elle même révolutionnaire : les philosophes reconnus étaient en principe plutôt des gens installés haut et confortable, contrairement à une idée reçue qui fait de Socrate leur archétype. Mais les philosophes dans la vie courante, ceux qui parlent et qui écrivent, quelquefois dans une quasi obscurité —volontaire ou non— eux, sont les proies faciles d’un consensus qui tente de les démolir avec une violence extrême. Que les profiteurs d’un système s’y essaient, soit. Mais que les victimes se montrent plus acharnées encore à tirer sur l’ambulance pose problème. Un syndrome de Stockholm —la solidarité paradoxale de la victime avec son bourreau— étendu au champ social ? Le principe des esclaves ici semble : tout est bien, même si c’est détestable, tout est mieux en tout cas que le changement, car on sait ce que l’on a —de la boue certes— mais on ne sait pas ce qu’on risque d’avoir —un peu plus de boue encore ? Non, cela n’est pas possible.— Un essai sur le tragique de la condition sociale.

Noces kurdes, prémisses

"Noces kurdes" Hélène Larrivé

Sur fond de la question kurde...

Qu'est ce qu'un génocide? Un ethnocide? La négation d'un être dans sa spécificité et sa beauté culturelle? Sa avilissement? C'est la question que se pose Hélène Larrivé dans son livre "Noces kurdes" (éditions de l'Harmattan).
Un jeune homme surgit, du néant. Il est kurde, et ne parle pas le français. Une femme le lui apprend et découvre en même temps une culture, un quasi génocide et aussi un personnage complexe et redoutable, engagé de force dans l'armée turque, jeté en première ligne pour des combats de guerilla, ayant subi et participé -sous drogue- à des exactions qui l'ont avili et définitivement marqué. Qu'est-ce qu'un homme? Qu'est-ce qu'un tortionnaire? Tout le monde? Peut-être. Peut-être pas. Avec horreur et fascination, Lydia voit devant elle se dérouler, comme à nu, en une sorte de vivisection spontanée, le mal à l'état pur -et innocent en même temps.-
Deux extrêmes se rencontrent: une prof de philo naïve, pour qui "nul n'est méchant volontairement", à la dérive après un divorce qui l'a anéantie et libérée à la fois, un jeune mac des bas fonds d'Istanbul venu de l'enfer et prêt à tout pour survivre... et le contact a lieu. Improbable, invraisemblable, et cependant fusionnel. L'amour fou, la haine démesurée, aussi. Le plus fourbe n'est pas celui que l'on pense, finalement, car la culture, la force qu'elle génère finissent par aguerrir Lydia qui, au fil des jours, se met, certes pour la bonne cause, à manipuler à son tour son manipulateur. Avec brio. Elle l'empêche ainsi de se livrer à ses activités violentes et a morales. Mais le jeu est dangereux. Elle faillira y laisser la vie, et c'est lui qui la laissera.



Un roman? Oui et non. En un sens. La découverte de l'autre dans son altérité pure. La sortie de soi même des deux côtés. Une expérience quasiment mystique, de NDE. Ils se fascinent mutellement -et s'exaspèrent- par leur opposition... qui les relie solidement et les révulse à la fois.
Qu'est-ce que l'homme? Peut-on pardonner l'impardonnable? Peut-on aimer un monstre? (Mais qu'est-ce qu'un monstre?) Réponse provisoire: oui, s'il vous aime. Parce que l'on aime, non une personne, mais l'amour que l'on suscite en elle.

Un histoire à l'eau de rose qui oublie la guerre

"Le mythe de Margot" Marie-Rose Clary

Le mythe de Margot
Ou qu'est-ce qui pousse dont les femmes à pleurer et à se replier ? Marie-Rose Clary, née en 41, en fait beaucoup peut-être dans le genre chaumière-abandon-rue-orphelinat-misère et coups... Dans une écriture incompréhensible parfois. C'est sa vie, c'est celle de beaucoup d'enfants allemands de la guerre de 40. Soit. On apprend dans ce livre que les germains n'étaient pas tous blonds et roses ni costumés de blanc et réglés au métronome. Qu'ils pouvaient être ferrailleurs, miséreux, d'allure méditerranéenne, chargés d'enfants aussi innombrables que l'écume de la mer et désorganisés au point de ne pas parvenir à faire face à leurs obligations minimae: amour, nourriture et toit pour leur progéniture. Et on lit, et on s'effare: les abandons successifs, les déchirures, l'éclatement de la fratrie, la mère réduite à coucher l'hiver dehors avec le dernier né, les épousailles —fécondes— ultra précoces à la deuxième génération, et la reproduction parfois des mêmes tragédies, et l'illetrisme, et l'alcoolisme, et les maladies toutes plus épouvantables les unes que les autres.... Ce n'est pas du Zola mais une impitoyable iconographie médico-psychologique de tout ce qui peut arriver de pire dans une famille à la dérive. Soit.

 Marie-Rose trime, est placée, s'enfuit, est battue, trime encore, échappe, à dix ans, de justesse, à un viol — mais elle garde judicieusement l'argent qui lui a été donné sans qu'elle n'ait compris au départ quelle étaient la nature des prestations exigées pour cet obole — et survit. Elle devient même amoureuse. Plus exactement, des hommes s'éprennent d'elle — elle est superbe— et, lorsqu'ils se montrent bons et attentionnés, adolescente, elle fond de reconnaissance. L'un est marié — le coquin— mais il va quitter sa femme et l'amener bien vite au loin, bien loin... cependant, bizarrement, cela ne se passe pas du tout ainsi : au lieu de la grande scène de l'acte trois qu'elle attendait et redoutait, Marie-Rose le voit repartir avec sa légitime sans même se retourner... Un autre l'aime pour de bon mais ne peut l'épouser tout de suite, elle n'y croit plus, et, blessée, tente de l'oublier... et finalement, c'est un troisième qui l'emportera, au moment précis où l'attentiste s'est enfin décidé —ou libéré—. Trop tard, elle est fidèle et ne quittera pas Michel pour autant. Alors? Un livre extraordinaire pourtant car à aucun moment, la guerre n'est mentionnée, même après coup, autrement qu'à propos de l'absence de pommes de terre ou de la mort d'un oncle aimé... Même le massacre des juifs semble ne pas l'avoir effleuré. Mais oui, on est bien en 42, 43, 44 pourtant, on n'a pas rêvé. Qu'elle ait été réduite, enfant, à une telle déréliction qu'elle n'ait pu savoir ce qui se passait, soit. Mais qu'ensuite, elle n'en fasse nulle mention montre de manière éclatante que la Shoah pourrait survenir incessamment sans que, de la même façon, elle ne s'en émeuve ou plus exactement ne le voit. Elle seule? Non. En terminant ce livre étonnant, c'est la réflexion de Gustave Nouvel qui vient à l'esprit: "Cette masse amorphe et veule ... est plus dangereuse que les vrais fascistes car c'est elle qui permet son émergence et son maintient." Oui. Et même on la plaint. A-t-on tort ? L'extrême malheur est-il une justification vis à vis de l'indifférence aux autres? Peut-être. Mais tout de même...